Avec l’interdiction décidée par la Cour de justice européenne de semer des betteraves enrobées d’un pesticide (néonicotinoïde), la filière sucrière française craint une forte baisse de sa production et anticipe des fermetures d’usines dans les années à venir.
Les betteraves étaient prêtes à être semées dans quelques semaines. Il ne manquait plus que l’autorisation d’enrober les semences avec des néonicotinoïdes, une dérogation à la règlementation, qui devait être prolongée pour une année encore. Mais la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en a décidé autrement le 19 janvier. « Les États membres ne peuvent pas déroger aux interdictions expresses de mise sur le marché et d’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes », a-t-elle déclaré dans son arrêt. Une décision qui a donné un grand coup de massue à la filière betterave-sucre, en particulier aux 23 700 planteurs et aux 6 000 salariés des 21 sucreries et distilleries présentes sur le territoire. « La décision de la Cour de justice n’est pas susceptible de recours et vient impacter l’ensemble de notre stratégie de trois ans de sortie des néonicotinoïdes », a reconnu dans la foulée, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau.
« En l’absence d’alternatives efficaces déployables en 2023, la filière se retrouve au pied du mur. La catastrophe sanitaire de 2020 (NDLR : où des semences enrobées par des néonicotinoïdes étaient alors interdites) est toujours dans les esprits, avec une perte moyenne de rendement de 30 % au niveau national, les exploitations les plus touchées ayant perdu jusqu’à 70 % de leur récolte, dans certaines régions », a réagi la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) dans un communiqué.
À la suite de cette catastrophe, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Julien Denormandie, avait fait passer une loi pour autoriser une dérogation à l’interdiction des néonicotinoïdes pour trois ans, avec une demande de renouvellement chaque année, le temps de trouver des alternatives efficaces.
Distorsions de concurrence en Europe
Ce jugement de la Cour de Justice européenne doit, en théorie, s’appliquer à tous les pays. Dans les faits, cela pourrait être différent et créer des distorsions de concurrence entre États. Six pays ont déjà obtenu une dérogation avant la décision de la CJUE, dont l’Espagne et la République tchèque. De son côté, l’Allemagne a autorisé un néonicotinoïde en pulvérisation, interdit en France, mais non concerné par l’arrêt de la CJUE, car il ne s’agit pas d’un traitement de semences.
La France, premier pays européen producteur de sucre (4,6 millions de tonnes de sucre de betteraves en 2021-22) pourrait bien se faire détrôner par l’Allemagne sur la prochaine campagne. Le pays talonnait déjà la France l’an passé. Il y a un risque de voir les surfaces de betteraves se réduire et les usines fermer dans les années à venir. En attendant, le ministère de l’Agriculture a promis d’apporter un soutien financier aux acteurs du secteur.
En France, le chiffre d’affaires du secteur sucrier est estimé à cinq milliards d’euros, avec une balance commerciale positive de 505 millions d’euros en 2021.
Adrien Cahuzac