Nestlé Waters France a révélé avoir eu recours à des pratiques interdites pour purifier son eau de source et son eau minérale. Mais Radio France et Le Monde estiment ce mea culpa forcé, car les médias enquêtaient depuis plusieurs mois sur le sujet.
Nestlé navigue en eaux troubles. Près de deux ans après l’affaire Buitoni, le numéro un de l’eau minérale en France a fait son mea culpa, reconnaissant avoir utilisé des filtres à charbon actif et un traitement aux ultraviolets, avant de mettre en bouteille l’eau provenant de ses différents puits, a révélé Les Échos dans un article publié le 29 janvier. Ces techniques sont autorisées sur l’eau du robinet et sur les eaux rendues potables par traitement, mais sont interdites sur les eaux de source et les eaux minérales naturelles, rapporte Le Monde dans un article paru le 30 janvier. Nestlé Waters France (Vittel, Perrier, Contrex, Hépar…) indique y avoir eu recours au nom de la sécurité alimentaire de ses produits car les eaux des puits prélevés présentaient des contaminations sporadiques d’origine bactérienne ou chimique. La cause : le dérèglement climatique et le stress hydrique.
La filiale française du géant agroalimentaire helvète a également eu recours pendant des années à une injection de sulfate de fer et de CO 2 industriels, en plus de la microfiltration inférieure aux seuils autorisés, mais aussi des mélanges d’eaux dites minérales ou de source avec de l’eau du réseau, autrement appelée eau du robinet, détaillent Le Monde et Radio France.
Un « mea culpa orchestré », estime Radio France
« Il y a eu des erreurs, conduisant à des enjeux de conformité. Tout en garantissant la sécurité alimentaire, nous avons utilisé des mesures de protection qui n’étaient pas en ligne avec le cadre règlementaire ou avec son interprétation », indique Muriel Lienau, présidente de Nestlé France, citée dans Les Échos. Un mea culpa qui pourrait dégrader l’image publique du géant suisse en France, mais éviterait une situation plus dramatique si des tiers avaient révélé l’affaire… Cependant, Le Monde et la cellule investigation de Radio France indiquent travailler sur une enquête conjointe « depuis plusieurs mois » sur le sujet. « Nestlé savait, à travers les questions que nous lui avions envoyées, [que nous nous apprêtions] à publier une enquête embarrassante révélant la nature de ses pratiques. Cette opération de mea culpa a, en réalité, été orchestrée », écrit Radio France. Les Échos précisent par ailleurs que Nestlé ne précise pas pendant combien de temps la loi a été enfreinte.
Le gouvernement au courant depuis août 2021
Radio France et Le Monde ajoutent que le gouvernement français serait au courant de ces pratiques illégales depuis août 2021, avant d’ordonner une enquête administrative sur le sujet. Les résultats montrent qu’un tiers des marques françaises d’eau de source et d’eau minérale auraient été, ou seraient encore, en délicatesse avec la règlementation. Une réunion interministérielle avec l’industriel s’est tenue le 22 février 2023, afin de mettre en place un plan d’actions et de transformation des usines de conditionnement d’eau de Nestlé, pour que le groupe se mette en conformité. Le géant suisse a alors investi une cinquantaine de millions d’euros et réalisé dix-huit mois de travaux sur ces deux sites, indique Les Échos. Pendant ce temps, le cabinet de l’ex-première ministre Élisabeth Borne a assoupli la règlementation par voie d’arrêtés préfectoraux. Selon Nestlé, les nouvelles générations de micro-filtres seraient autorisées dans d’autres pays pour maintenir la qualité et la minéralité des eaux, sans pour autant être considérées comme une désinfection.
Mais l’utilisation de cette technologie et la mise en conformité n’ont pas empêché la fermeture de deux puits de Nestlé dans les Vosges en mai 2023, divisant par deux la production de sa marque Hépar. Un plan social concernant 171 salariés a été mis en place sur son site des Vosges (soit 25 % de l’effectif). Si le groupe se félicite de la conformité de « toutes [ses] opérations », Radio France et Le Monde assurent que le système de microfiltration maintenu par le groupe « n’a rien de compatible avec le cadre règlementaire ». Ingrid Kragl, directrice de l’information de FoodWatch a, quant à elle, annoncé le 30 janvier, sur France Inter, que l’ONG porterait plainte pour tromperie.
Valentin Ragot