Président de l’ABEA* et directeur général de la coopérative Le Gouessant, Rémi Cristoforetti milite pour davantage de stabilité et de simplification administrative, pour permettre aux industriels d’innover et de se transformer. Il revient sur la situation économique de l’agroalimentaire breton et nous confie les futurs investissements de son groupe. Interview.
RIA : Quelle est la situation économique des industriels bretons dans le contexte actuel ?
Rémi Cristoforetti : Le niveau de valeur ajoutée générée par les IAA bretonnes s’effrite, à l’inverse de la dynamique nationale. C’est ce que révèle la dernière étude la Banque de France de novembre 2024. Le taux de valeur ajoutée sur chiffre d’affaires était de 14,3 % en 2023, contre 16,8 % en 2020. La progression de la valeur ajoutée des IAA bretonnes n’a été que de 2,4 % entre 2022 et 2023, alors qu’elle a été de 6,4 % pour les IAA au niveau national.
RIA : Pourquoi ce décrochage ?
R. C. : Cela s’explique par plusieurs facteurs. Le poids des matières premières dans l’activité des IAA bretonnes est historiquement plus important (64,9 %), comparé au national (58,6 %). Les marges y sont moins élevées. Les volumes de matières premières agricoles (animaux abattus, lait transformé…) sont en baisse, ce qui augmente la proportion des frais fixes. À cela, s’ajoutent de fortes augmentations de tarifs depuis deux ans sur les coûts de l’énergie et des assurances notamment. Parallèlement, côté consommation, on constate une évolution du mix produit vers une part plus grande de MDD, au détriment des marques nationales. Cela pénalise les IAA, pour qui les MDD génèrent moins de valeur ajoutée.
RIA : Quels sont les besoins pour améliorer la compétitivité ?
R. C. : Nous avons besoin de stabilité, de visibilité et de simplification administrative pour donner aux industriels la capacité d’innover et de se transformer. Il y a un début d’alignement entre les politiques françaises et européennes en matière de simplification qui nous réjouit. Il faut que cela se concrétise. L’agroalimentaire est très en retard en matière de robotisation. Un des axes de progrès va être sur la partie transformation, comme en découpe, avec la reconnaissance d’images par l’IA. La robotisation permet d’améliorer les conditions de travail et l’efficience sur les lignes. Nous avons aussi des progrès à faire sur la régulation d’énergie et la consommation d’eau. Le décret Reuse est une réelle opportunité, même si un retard va rester par rapport à nos voisins sur l’utilisation de l’eau ingrédient.
RIA : Est-ce que les IAA bretonnes souffrent de l’instabilité géopolitique actuelle ?
R. C. : C’est vrai que la dissolution n’a pas aidé à avoir de la visibilité. Aujourd’hui, il y a des enjeux géopolitiques forts. Nous ne devrions pas être les plus touchés par le renchérissement des barrières douanières prévues par Donald Trump, mais cela aura des impacts indirects. Nous sommes obligés de redoubler de vigilance car nous risquons de rentrer dans une zone de turbulence.
RIA : Comment travaille l’ABEA pour aider ses adhérents ?
R. C. : Pour tous les dossiers que nous portons, nous privilégions le partage d’expériences avec nos 250 adhérents, afin de leur donner des clefs pour décoder les marchés et leurs évolutions. Nous organisons par exemple des sessions d’analyses de marchés avec des distributeurs. Nous proposons aussi des « Pauses DèG », pour permettre à un industriel de se présenter et rencontrer d’autres entrepreneurs en visio pendant une heure. Chacun parle de ses opportunités, de ses difficultés, avec des points techniques, comme sur les emballages. Sur les sujets réglementaires, comme l’eau et la décarbonation, nous voulons être précis et documentés, en nous appuyant sur l’existant. Nous avons lancé le programme Boost Agro Climat avec des partenaires qui apportent leur expertise et assurent des formations. Nous développons également le programme Destination usine 4.0, pour faire monter en compétences nos adhérents sur les nouvelles technologies, dont l’IA.
RIA : Quel est le rôle de l’ABEA sur le CFIA ?
R. C. : Nous sommes coorganisateurs de l’Usine Agro du Futur, aux côtés de BDI et Valorial. Nous avons participé à la sélection des acteurs qui présentent des solutions sur la thématique « Des usines à faible impact environnemental ». L’objectif est d’apporter du concret avec des solutions innovantes mais éprouvées, en phase avec les enjeux des IAA. Nous sommes également coorganisateurs de l’espace Food Talent, avec GL Events, au hall 11. L’objectif est double : permettre de recruter aujourd’hui et demain, avec la découverte des métiers auprès des collégiens, lycéens, étudiants et demandeurs d’emploi et le recrutement de candidats. L’ABEA va aussi être présente, tout au long du salon, sur des conférences, notamment celle sur l’Usine Agro du Futur et la table ronde de RIA sur les défis de la gestion de l’eau, le 4 mars.
RIA : Vous êtes également directeur général de la coopérative Le Gouessant. Quel a été le bilan de 2024 et quels sont les projets de développement ?
R. C. : Nous avons fait une bonne année, en progression sur certaines activités. Sur la partie alimentaire, notre activité de cracking de pois et de féverole à Noyal-sur-Vilaine pour faire des ingrédients (amidons, protéines) connaît une croissance à deux chiffres. Du côté d’Aqualia, qui produit des aliments pour la pisciculture, nous allons investir 4 à 5 millions d’euros près de Lamballe pour remplacer notre vieux sécheur horizontal à gaz par un sécheur vertical à horizon 2026 qui consommera beaucoup moins. Nous allons, par ailleurs, investir 15 à 16 millions d’euros dans notre activité nutritionnelle notamment pour le petfood pour construire une nouvelle usine à Saint-André de la Marche près de Cholet, qui verra le jour en septembre 2026. Cela permettra de doubler la capacité de production. C’est un prolongement de notre activité historique qui permet de financer notre recherche santé pour les ruminants, par exemple.
* ABEA : Association bretonne des entreprises agroalimentaires
PARCOURS
- Ingénieur Centrale Lille en 1989
- Responsable qualité puis R&D, puis directeur industriel d’Ardam Electrolux (Ardennes) de 1990 à 1995
- Directeur industriel d’Evialis de 2001 à 2005
- Directeur des opérations puis Président du groupe Diana Pet food & Aqua Business de 2005 à 2016
- Cofondateur d’Ataraxy Consulting en 2016
- Directeur général de Le Gouessant depuis juin 2017